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Publicité automobile : les mentions écologiques vont-elles changer les comportements?

Laurent Fouillé Sociologue urbaniste

Publié le 23 février 2022 Mis à jour le 25 février 2022

À compter du 1er mars prochain, les publicités pour les voitures auront l’obligation de faire mention d’un message en faveur d’alternatives parmi les trois suivants : « Pour les trajets courts, privilégiez la marche ou le vélo », «Pensez à covoiturer» ou «Au quotidien, prenez les transports en commun».

Copyright Pixabay

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Cela résulte de l’entrée en application de l’arrêté ministériel du 28/12/2021. Pour la presse écrite et les affiches, ces messages devront occuper une superficie minimale de 7 %.

Cet arrêté résulte de la proposition C2.1 de la convention citoyenne pour le climat visant une interdiction de la publicité pour les produits les plus émetteurs de gaz à effets de serre (GES). La mesure retenue, moins radicale, est le fruit d’un compromis entre les constructeurs et les acteurs des mobilités alternatives alors que l’Union européenne affiche l’objectif de la fin des voitures thermiques pour 2035. Elle fait notamment écho aux actions mises en place dans le cadre de la lutte contre l’alcoolisme (loi Evin) ou le tabagisme (mention « fumer tue », paquet neutre).

Pourtant, il est permis de douter de l’efficacité d’une telle mesure. Dans notre thèse de sociologie sur l’attachement à l’automobile mis à l’épreuve, nous avons étudié différentes stratégies employées pour réduire son usage, parmi lesquelles figuraient en bonne place la diabolisation et la pathologisation. Au-delà d’une dépendance technique à un outil ou d’une dépendance issue d’un aménagement spécifique du territoire, clairement favorable à l’usage de l’automobile, un glissement sémantique assimile alors l’automobile à une drogue.

Dès lors, ce serait un individu sous emprise qui conduirait et finalement, ce serait l’automobile qui ferait conduire l’automobiliste. L’objet n’est plus émancipateur, il devient aliénant, le sujet devient objet.

Responsabilisation plus que culpabilisation

La métaphore filée à son terme nous a conduits à étudier les effets de dispositifs fictifs tels que des « autopatch », des « autoholics anonymous » ou encore des « carfree challenge ». Nous devons concéder que ce procédé est pertinent dans une optique militante, comme en atteste par ailleurs les pages l’automobile est une drogue ou conduire tue sur le site carfree.fr.

L’analyse des controverses montre comment les images et les symboles échangés valent autant, sinon plus, que des arguments plus rationnels. Mais plus sérieusement, si quelques automobilistes sont des conducteurs « accros à la voiture », combien éprouvent véritablement un manque lorsqu’ils ne sont pas obligés de conduire ?

Fourni par l'auteur
Exemple du dispositif de communication fictif « autopatch ». Fourni par l'auteur

Notre étude de ces dispositifs nous a conduits à interroger leur efficacité, car dans le même mouvement, assimiler la dépendance à l’automobile à une maladie tend à fixer l’automobiliste dans une pathologie plus qu’à le guérir. Il s’en trouve figé dans une posture de patient qui attend la découverte et la prescription d’un remède miracle. Il subit sa pathologie jusqu’à en oublier qu’il s’agit en fait d’un comportement choisi, qui peut changer. Il peut finir par se résigner.

Quitte à explorer le terrain des drogues, nous avions pris le soin d’en revenir avec des enseignements moins idéologiques et plus pragmatiques, nous inspirant pour cela du livre de la sociologue Anne Coppel : Peut-on civiliser les drogues ? De la guerre à la drogue à la réduction des risques (Éditions La Découverte). Nous faisions donc l’hypothèse qu’on ne ferait pas sortir les automobilistes de leur voiture malgré eux et qu’il serait préférable de les considérer comme des adultes capables de s’interroger sur leur pratique, voire de la modifier s’ils le souhaitent.

En conclusion provisoire de nos recherches, nous affirmions que pour initier et impulser le changement, il conviendrait peut-être de s’adresser à un citoyen responsable de sa destinée et de renforcer son libre arbitre : explorer la responsabilisation en lieu et place de la culpabilisation.

C’est là que nous retrouvons l’arrêté au cœur de cet article. Différents arguments nous inclinent à y voir un procédé culpabilisateur et infantilisant, faisant clairement douter de son efficacité. Les campagnes publicitaires accompagnées d’un démenti sanitaire, déresponsabilisent simultanément qu’elles informent.

Messages dissonants

Au moins deux arguments, qui s’appuient sur des concepts de psychologie, vont en ce sens. D’abord, la double contrainte :dans son article intitulé « vers une théorie de la schizophrénie » rédigé en 1956, l’anthropologue américain Gregory Bateson développait l’idée selon laquelle les schizophrènes sont élevés dans l’expérience répétée de l’injonction paradoxale : leur mère passe de la colère au câlin sans qu’ils parviennent à comprendre ce qui déclenche l’une et l’autre réaction. Ils vivent dans une perte de repère qui provoque la confusion, ils sont scindés en deux.

Deuxième argument, la dissonance cognitive : il est aisé de comprendre le conflit qui existe entre deux cognitions « il faut conduire et acheter une voiture » pour être socialement inséré et économiquement rationnel et « il faut éviter de se déplacer en voiture » d’un point de vue environnemental. Les messages de la publicité « achète une voiture » (pour être libre, heureux, épanoui, rapide, puissant, attirant…) et de la mention sanitaire « ne l’utilise pas ou le moins possible » sont clairement dissonants.

Pour supporter la dissonance, elle doit être réduite : le moyen le plus simple étant d’ignorer la bannière en bas de l’écran. Là où la théorie psychologique devient encore plus pertinente, c’est peut-être avec l’expérience dite « paradigme du jouet interdit ». Que se passe-t-il si on dit simultanément à un groupe d’enfants qu’un jouet particulièrement attrayant causera de grandes ou petites punitions à ceux qui l’utiliseront, mais qu’il trône au milieu de la pièce et que les adultes sont partis ? Ils n’y touchent pas. Mais que se passe-t-il, si on leur indique ensuite qu’ils sont libres de jouer avec ce qu’ils veulent ? Tout parent sait que soit l’interdit est catégorique et il peut toutefois être transgressé, soit il est ambigu et n’a aucune chance d’être respecté.

On peut en outre mobiliser deux arguments supplémentaires. Le premier mobilise la littérature et la « doublepensée » orwellienne : dans la classique dystopie 1984, la novlangue est l’instrument d’un totalitarisme qui emprisonne par les mots. Au cœur de celle-ci, la doublepensée est défini ainsi :

Connaître et ne pas connaître. En pleine conscience et avec une absolue bonne foi, émettre des mensonges soigneusement agencés. Retenir simultanément deux opinions qui s’annulent alors qu’on les sait contradictoires et croire à toutes deux. Employer la logique contre la logique. Répudier la morale alors qu’on se réclame d’elle .

Cette notion entre en résonance avec des termes comme voiture propre, autoroute verte, écoconduite ou biocarburant !

Enfin, rappelons que l’efficacité des messages sanitaires dans les publicités alimentaires n’a jamais été démontrée. Toutefois, un extrait du journal télévisé du 26 février 2007, lors de leur entrée en vigueur, atteste de certains doutes.

Il se concluait ainsi :

Journaliste : – à terme, un spot sur trois comportera un message sanitaire. Mais ces avertissements sont-ils efficaces ? Non, répond l’UFC-Que Choisir, qui a mené l’enquête.

Alain Bazot : – on sait très bien que l’attention, elle est d’abord captée par le film, pas par un message qui va se dérouler en bas de l’écran. On sait très bien qu’à six, sept ans, la capacité de lecture des enfants n’est pas suffisante pour s’intéresser à ce message qu’il va lire et encore plus à le comprendre.

Journaliste : – les nutritionnistes auraient aimé que l’on interdise les réclames qui visent les enfants. Les industriels ont refusé de tirer un trait sur un marché publicitaire de 2 milliards d’euros par an .

Comme les nutritionnistes en 2007, nous pensons qu’introduire sept pour cent de contradiction dans un message publicitaire n’aura donc au mieux qu’une portée symbolique : les autorités « n’approuvent pas ce message ». Au pire, ce procédé culpabilisera inefficacement.The Conversation

Laurent Fouillé, Sociologue urbaniste, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


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